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lundi 7 février 2022

Dante - Divine Comedie (P-A Fiorentino) - Enfer - 01-34

L'ENFER.

CHANT PREMIER.

Au milieu du chemin de notre vie, je me trouvai dans une forêt obscure, car j'avais perdu la bonne voie. Hélas! que c'est une chose rude à dire, combien était sauvage et âpre et épaisse cette forêt dont le souvenir renouvelle mon effroi! Elle est si amère que la mort l'est à peine davantage. Mais pour dire le bien que j'y ai trouvé, je parlerai des autres choses que j'y ai vues.

Je ne saurais bien expliquer comment j'y entrai tant j'étais plein de sommeil au moment où j'abandonnai la véritable route. Mais dès que je fus arrivé au pied d'une colline où se terminait cette vallée qui m'avait frappé le cœur d'épouvante, je regardai en haut et je vis les épaules de la montagne vêtues déjà des rayons de la planète (1) qui mène droit les hommes par tous chemins.

Alors se calma un peu cette crainte qui avait tourmenté le lac de mon cœur la nuit que je passai en si grande détresse. Et comme celui qui, l'haleine oppressée, étant monté de la mer au rivage se retourne vers l'eau périlleuse et regarde, ainsi mon esprit qui fuyait encore se retourna en arrière pour contempler la limite que jamais ne franchit homme vivant.

Quand j'eus reposé un peu mon corps fatigué, je repris ma route à travers la plage déserte, si bien que le pied ferme était toujours le plus bas (2). Et voici, presque au commencement de la montée, une panthère très-agile et très-vive qui était couverte d'une peau tachetée. Elle ne s'écartait pas de devant moi et barrait tellement mon chemin que plusieurs fois je fus tenté de retourner en arrière.

C'était l'heure où l'aube commence et le soleil s'élevait, entouré de ces étoiles qui brillaient avec lui lorsque l'amour divin donna pour la première fois le mouvement à ces belles choses. Et la peau nuancée de la panthère, l'heure du jour et la douce saison m'étaient un présage de bonne espérance mais non pas au point que je ne fusse effrayé par la vue d'un lion qui m'apparut. Il semblait venir à moi avec la tête haute et une faim si pleine de rage, que l'air paraissait en frémir.

Puis je vis une louve qui, dans sa maigreur, paraissait chargée de tous les désirs et qui a fait vivre bien des gens misérables. Elle me donna tant d'engourdissement par la terreur qu'elle lançait de ses prunelles que je perdis l'espérance de gravir la colline.

Et comme celui que le gain réjouit, si le jour de la perte arrive, pleure et s'attriste dans toutes ses pensées, ainsi me fit la bête sans repos, qui venant à ma rencontre pas à pas, me repoussait là où le soleil se tait. Tandis que je roulais dans ce bas lieu, devant mes yeux s'offrit quelqu'un dont la voix paraissait éteinte par un long silence. Aussitôt que je le vis dans le grand désert: — Aie pitié de moi, m'écriai-je, qui que tu sois, ombre ou homme réel.

Il me répondit: — Je ne suis pas un homme. Je l'ai été et mes parents furent Lombards et tous deux Mantouans de patrie. Je naquis sous Jules, encore que ce fut tard et j'ai vécu à Rome sous le bon Auguste au temps des dieux faux et menteurs. Je fus poète et je chantai ce pieux fils d'Anchise qui s'en vint de Troie après que le superbe Ilion fut brûlé. Mais toi, pourquoi retournes-tu dans ce lieu de tristesse? pourquoi ne gravis-tu pas le mont délicieux qui est le principe et la cause de toute joie?

Es-tu donc ce Virgile et cette source qui répand un si large fleuve d'éloquence? lui répondis-je le front baissé et honteux. Ô gloire et lumière de tous les autres poètes, puissent me recommander auprès de toi la longue étude et le grand amour qui m'ont fait chercher ton livre. Tu es mon auteur et mon maître, tu es le seul dont j'ai pris le beau style qui m'a fait honneur. Vois la bête fauve devant laquelle je recule, viens à mon secours illustre sage car elle fait trembler mes veines et mes artères.

— Il te faut tenir une autre route me répondit-il en me voyant pleurer, si tu veux sortir de ce lieu sauvage, car cette louve pour laquelle tu cries ne laisse jamais passer l'homme dans son chemin mais elle le tient si bien en arrêt qu'elle le tue. Et sa nature et si méchante et si cruelle qu'elle n'assouvit jamais son avidité insatiable et après le repas elle a plus faim qu'auparavant. Nombreux sont les animaux auxquels elle s'accouple et ils le seront encore davantage jusqu'au jour où viendra le Lévrier (3) qui la fera mourir dans les tourments. Celui-ci ne se nourrira ni de terre ni d'or mais de sagesse, d'amour et de vertu et le lieu de sa naissance sera entre Feltre et Feltro. Il sera le salut de cette humble Italie pour laquelle la vierge Camille, Euryale, Turnus et Nisus sont morts de blessures. Il poursuivra cette louve de ville en ville jusqu'à ce qu'il l'ait replongée dans l'Enfer d'où jadis l'Envie la fit sortir.

Et maintenant, pour ton plus grand avantage, je pense et je décide qu'il vaut mieux que tu me suives et je serai ton guide et te tirerai d'ici en te faisant passer par un lieu éternel où tu entendras les hurlements désespérés, où tu verras les âmes antiques accablées de douleur qui appellent à grands cris la seconde mort. Tu verras ensuite ceux qui sont contents dans les flammes parce qu'ils espèrent monter un jour parmi les esprits bienheureux. Puis, si tu veux t'élever jusqu'à ces derniers, une âme plus digne que moi pourra t'y conduire. Je te laisserai avec elle à mon départ car cet Empereur qui règne là-haut, parce que je fus rebelle à sa loi, ne veut pas que j'entre dans sa cité. L'univers est son empire, le ciel est son royaume. Là, est sa cité et son trône sublime. Ô bienheureux ceux qu'il choisit pour ce séjour!

Et je lui dis: — Poète, je t'en conjure au nom de ce Dieu que tu n'as pas connu, si tu veux que je me dérobe à ce danger et à d'autres plus graves, conduis-moi là où tu as dit afin que je puisse voir la porte de saint Pierre et ceux que tu m'as faits si malheureux. Alors il se mit en marche et je le suivis.


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